LE STYLE DANS LA SALSA CUBAINE (1)
La question du style dans la Salsa taraude les esprits des bons professeurs et des élèves exigeants depuis longtemps.
Dans le cas précis de la Salsa Cubaine, l’apport des enseignants se résume parfois à de la Rumba ou à des pas d’Afro, ce qui est en même temps abusif et carentiel.
iNTRODUCTION
La Timba étant survenue, notre danse a forcément évolué, mais un bon Casinero des années 50 n’aurait pas à rougir de la comparaison sur nos pistes de danse actuelles.
Il est intéressant ici de se référer à l’un des acteurs-témoins des premières époques, danseur des clubs où cette danse naissait de manière empirique.
Le Cubain Antonio « Ñico » Raymat, mon cher ami qui m’a invité à enseigner dans son école en Argentine, est un puits de science « casinera ». Il publiera d’ailleurs bientôt un livre à ce sujet.
Ñico parle de trois genres de Casineros.
Il est à noter que je ne le cite pas; ce sont bel et bien mes mots que vous lisez.
1 ) Les habiles des pieds

Au départ cette danse a des relents machistes, la femme se limitant parfois à marquer et à suivre, l’homme étant plus enclin à « florear », c’est-à-dire à faire le beau.
Son habilité avec les pieds témoigne du fait que la Rumba était déjà présente par la Columbia, dont le danseur social s’inspirait et qui, comme vous le savez, est le dialogue entre l’un des tambours, le Quinto, et l’interprète corporel.
Le Casino a beau être né dans des clubs sociaux réservés aux Blancs, la mixité naturelle de l’île impliquait des influences variées, dont celle des Noirs.
Cependant il faut souligner qu’il ne s’agissait pas d’entières séquences de Rumba, avec les Cachán, les Chiquiri et autres pas qui la composent, mais d’un jeu alliant dextérité et musicalité, rapidité et interprétation pendant les déplacements et les figures.
2 ) Les habiles des bras

La Salsa Cubaine n’a pas attendu la décennie des années 90 pour être riche en figures compliquées, que l’on appelle des nœuds.
Déjà du temps où le mot Salsa n’existait pas, où elle ne s’appelait que Casino, la danse qui nous anime et nous émeut avait son lot de combinaisons complexes, nécessitant une parfaite connexion alliée à un relâchement propice à la bonne exécution des passes.
Comme la femme avait souvent les deux mains prises, elle faisait étalage de toute sa féminité en exagérant les ondulations de ses hanches.
3 ) Les élégant(e)s.

L’idée communément répandue selon laquelle le Casino, de par les influences des danses provenant d’Afrique, doit se danser obligatoirement avec le torse un peu penché en avant, et donc vers le bas, est une distorsion pure et simple de l’Histoire.
Les exemples sont légion, de danseurs et de danseuses qui évoluaient avec une parfaite posture et un maintien d’impeccable droiture.
Il se caractérisaient par une économie de figures et, partant, les déplacements, les promenades et l’Abrazo se taillaient la part du lion.
Nous voyons donc qu’il est très peu question de Rumba et nullement question d’Afro lors des premières époques.
Cette indication n’est pas dénuée d’intérêt, car il y en a qui pensent encore de nos jours que le Casino a suffisamment de recours et se suffit à lui-même, sans qu’il faille lui ajouter des pas issus du « Complejo de la Rumba », et encore moins des Orishas.
Ceci dûment posé, j’en viens maintenant au cœur de la question du style.
Le haut du corps est souvent très peu utilisé.
De bons exercices d’isolation lors des cours vous permettront de danser avec le torse, de bouger à bon escient les épaules et d’inclure le plexus solaire dans la musicalité.

L’homme, par tradition et de par la nature du Casino, aura des mouvements empreints de virilité, de la « Guapería » inhérente aux danses cubaines au masculin. La théâtralité est l’une des composantes de nos danses.
La femme, parangon de la grâce, positionnera ses épaules bien en bas, et se gainera pour arriver à un port de bras tonique sans qu'il y ait toutefois de la rigidité. En « cubaine », les caresses (mouvements circulaires des bras autour de la tête chez la femme) et autres mains émergeantes ne sont pas à bannir, cela va de soi, mais il faut veiller à ce que cela suive une parabole naturelle, une logique de l’enchaînement. Et dites-vous bien que ce n’est pas pour rien si les habitantes de l’Île n’abusent pas du jeu de bras.
Une proposition :
Demandez des cours de Son, de Mambo et de Chachachá. Cela vous sera très profitable au moment où les partenaires se lâchent, et vous serez au cœur même de certains rythmes qui composent le tissu de la Salsa.
Pour revenir aux différents types de Casineros dont parle Ñico, le jeu de pieds est à privilégier. Là, en guise d’exemple, je vais le citer :
« Le danseur qui se bornait à faire 1-2-3, 1-2-3 était très mal vu de mon temps, et lors de l’Enchufla ou Enchufa, si je m’en tiens à cette figure, il n’était pas rare de nous voir mettre un petit pas de cha-cha-cha. Cela nous permettait, en plus, d’arriver d’autant plus vite à la danseuse suivante, en Rueda. »
Il va de soi que, lors des solos, quelques pas de Rumba seront du meilleur effet, mais à dose homéopathique, je vous en conjure !
Et cessez d’attaquer à plusieurs reprises dans chaque chanson la région pelvienne de la danseuse, messieurs !
Le « vacunado » n’est pas un effet de mode.
J’ai enseigné dans tous les pays de l’Est et, dans certains d’entre eux, la danseuse utilise sa main libre pour se couvrir le Mont-de-Vénus, les hommes étant des mitrailleurs gestuels.
En l’occurrence, ce n’est pas du style. C’est du n’importequisme.
Bien entendu, le Guaguanco, le Yambu et la Columbia étant profanes, et les ensembles de la Rumba et du Son ayant toujours interagi, il est beaucoup plus acceptable de les voir apparaître dans le Casino que les pas des Orishas.
Là c’est une autre paire de manches.
Là on frise souvent le ridicule et, bien plus grave, l’irrespect.
Nous avons affaire au Panthéon Yoruba, à une mythologie de messagers, de demi-dieux dont les danses ne sont que la pointe de l’iceberg culturel.
Mettre sans queue ni tête, hors contexte est hors concept, des pas de Shangó, d’Oyá, de Yemayá ou d’Oggún, juste parce que nous en avons appris des séquences dans des cours ou dans des stages, cela peut être extrêmement contre-productif.
Qu’est-ce que j’entends par là ?
En entrant dans le monde des danses cubaines vous voulez certainement, en plus de prendre du plaisir, servir une culture que vous aimez. Sachez que les pas des Orishas jetés au petit bonheur la chance dans la Timba, cela fait se dresser les cheveux sur la tête de bien des religieux Cubains.
L’argument est contondant. Suffisant.

Permettez que je m’attarde maintenant sur le mot Timba, que j’ai utilisé pour la deuxième fois ci-dessus.
Ses prolégomènes sont intervenus avec Irakere, et sa véritable irruption avec NG La Banda.
Un grand rumbero a dit : « La Timba c’est la Rumba déguisée. »
Cela n’est toutefois pas un blanc-seing pour que nous en mettions partout.
Il est évident, et cette maxime en atteste, que l’évolution des rythmes cubains va de pair avec une nouvelle manière de danser, où l’on mettra davantage l’accent sur l’interprétation et sur ce qu’on appelle la « Suelta », du verbe Soltar : lâcher.

Mais dire, comme d’aucuns prônent souvent, qu’elle est synonyme de « Salsa con Rumba », reviendrait à oublier que la Timba est née aussi avec des influences de funk, de soul, de jazz-rock, de rhythm and blues, et même de musique classique.
La conclusion vient d’elle-même :
La musique te dit tout !
Et c’est là que nous allons pouvoir véritablement introduire le style.
La musique te dit tout.
Lors de l’introduction il faut privilégier l’Abrazo et les promenades.
Lorsque le piano se fait plus présent, l’interprétation avec les pieds est la meilleure manière de servir la musique.
Dans les moments d’accalmie, quand la musique se fait plus lente et qu’on entend davantage la clave ou la basse, la meilleure option est celle du contretemps (Paso de Son).
L’apparition des cuivres annonce le Mambo ( c’est pourquoi Alexander Abreu attend toujours ce moment-là pour dire sa fameuse phrase-signature : camina por arriba del mambo ! ). Alors pourquoi pas inclure les pas de ce rythme popularisé par Pérez Prado, à défaut d’en être le créateur ?
La même chose avec la Rumba : la musique te le dit.
Et à propos des Orishas, il n’est évidemment pas proscrit d’y inclure quelques pas, mais là encore c’est la musique qui nous y amène, soit par des « « Toques » correspondants, soit en nommant les différentes déités.
Le Chachachá se dansant à contretemps, rien ne vous empêche de vous en donner à cœur joie lors des séquences « Son ».
La musique tu dit tout, encore et toujours.
Sans oublier le moment qui ressemble à un grand désordre sonore; il se peut que vous soyez en présence d’un “Pase de clave” ou “Licencia de clave”, c’est-à-dire de l’ajout d’une mesure qui en change la direction. À ce moment-là faites un stop (photo) ou un petit Despelote pour voir d’où viendra le vent, car il est fort probable que vous soyez sur le 5 si vous continuez sur votre lancée initiale.
Je vous laisse une musique pour vous entraîner
Conclusion de la conclusion :
Pour acquérir du style formez-vous dans d’autres danses cubaines.
Dites-vous bien que, même si vous évoluez sur de la Timba, ce que vous dansez est le Casino, avec des structures de Casino, et que cela doit rester du Casino.
Je ne suis pas partisan des chorégraphies sur des moments précis de tel ou tel morceau, car l’intérêt de nos danses c’est d’improviser, et dans les discothèques les DJs passeront des morceaux que vous ne connaissez pas. Entraînez-vous plutôt à reconnaître les instruments et à les suivre avec vos pas, ce qui fera de vous de parfaits caméléons rythmiques.
Et ne laissez pas la technicité et le souci de bien faire gâcher votre plaisir de danser !
Merci beaucoup pour cette belle lecture, ce partage très intéressant, même si le monde de la salsa m’est encore inconnue, l’ayant dansé qu’une seule fois, mais l’envie, le désir est bien réel. Un jour un danseur saura me faire vibrer, rêver, et m’embarquer dans un flots de mouvements, un tourbillon, l’alchimie, l’osmose….